Tarfaya- Dakhla 30.12.2018
Comment se représenter le désert ? Tu peux te l’imaginer ainsi :


Prends une grande feuille de papier brun clair, chiffonne-la pour la lisser ensuite. Trace une très fine ligne noire, toute droite, c’est la route. Ensuite, prends 2 poignées de sable et de pierres et saupoudres-en ta feuille. Haches un bouquet de persil, répartis-le sur le papier et glisses-le dans le four jusqu’à ce que l’air commence à vibrer. Et pour finir prends des centaines de mêmes feuilles et mets-les les unes à côté des autres.
Maintenant ajoute quelques camions, des bus pour passagers et des voitures qui circulent sur cette route. Le bord de la route est jonché de déchets et de pneus crevés. Une antenne se dresse environ tous les dix kilomètres ; tous les 60 kilomètres, on rencontre quelques maisons en forme de cubes, pour la plupart du temps roses.

IMG 3237
Et voici que nous apercevons un vélo. Le temps est ensoleillé, pas trop chaud, la route est parfaitement asphaltée, on entend de la musique provenant de l’une des sacoches. Mais pourquoi roule-t-il en zigzag, alors que la route est belle et plate ? Et pourquoi le cycliste crie-t-il ? Est-ce que son bagage est trop lourd ?
Ou bien essaie-t-il de communiquer avec quelqu’un d’éloigné ?
Non, la raison est tout autre.
Le vent contraire, le pire ennemi du cycliste. Il me pousse sur le côté, me fait sortir de la route, encore et toujours, sans fin. Il réduit ma vitesse de moitié, me coûte trois fois plus d’effort pour avancer. Il m’épuise et me met en colère. A chaque bourrasque, je dois redresser le guidon pour revenir sue l’asphalte.
Les véhicules qui viennent en sens inverses poussent un mur d’air devant eux qui me frappe comme un point sur la figure. Les turbulences provoquées par le trafic me catapultent à chaque croisement. Je déteste ça.
Cela dure déjà depuis le départ, depuis 80 km.
Ce matin, j’ai pris congé de Jakob, mon compagnon de route. Il a retrouvé de vieux amis et a pris la route avec eux. Hier nous avons passé la nuit chez un pécheur qui nous a grillé du poisson pour le repas du soir.
Et depuis ce matin, je suis de nouveau seul en route. Encore 20 km jusqu’à Laayoune ce qui veut dire que je dois poursuivre sans pouvoir faire de pause si je veux arriver avant le coucher du soleil.
J’arrive à bout de force à Laayoune. Je cherche un hôtel et après une douche, j’ai faim. Je n’ai pratiquement rien mangé de la journée. Je prends place dans un restaurant et commande un poulet entier avec de la salade et l’accompagnement. Un chat errant mendie à mes pieds et je lui donne un bout de poulet. Je continue de manger... Miaou…je lui redonne un bout de poulet et poursuis mon repas. Miaou, cette fois avec la patte sur ma jambe.je lui donne un bout de foie de poule que je n’aime pas et je continue de manger. Miaou…Un morceau de foie…et je poursuis mon repas.
Après le repas, je suis revigoré. Cette nuit, je dors profondément.

IMG 3270
Les trois jours suivants sont l’enfer. Le vent contraire souffle sans arrêt et dès le matin, je suis épuisé peu après le départ. Mais pas question d’abandonner. Je poursuis ma route.
Le soir, j’essaie de faire du camping sauvage. Mais rien à faire ! Les gendarmes ou la marine ne m’autorisent jamais à passer la nuit dans un endroit peu sûr. Je dois camper près de la gendarmerie ou passer la nuit dans une auberge. Une fois, je passe la nuit près de la cabane d’un pêcheur. En fait, il s’agit plutôt d’une sorte de tente comme nous en construisions dans le salon lorsque nous étions enfants. C’est malgré tout confortable à l’intérieur. Le vent n’y entre pas. La seule lumière provient d’une bougie posée sur la table au centre de la pièce. Une cuvette pour laver, une cartouche de gaz et quelques provisions. Une natte avec des couvertures sert de lit au pêcheur. Juste en haut de la falaise.
Le pêcheur m’invite à boire du thé. Nous mangeons ensemble assis dans sa hutte. Et nous discutons. Il vit ici pendant 4 mois, puis retourne pour 3 mois dans sa famille avant de revenir ici pour travailler. Tous les dix jours, il va dans la ville voisine acheter des provisions. Maintenant, en hiver, il pêche des algues utilisées dans la fabrication du plastique. Les poissons dorment tous, me dit-il. A ma question si sa famille ne lui manque pas, il devient tout silencieux. Cela me suffit comme réponse.
Le lendemain, je lui rends visite pour boire un thé avant qu’il ne sorte en mer. Je lui offre une photo du début de mon voyage et promets de lui envoyer une photo sur WhatsApp… Et oui, la technique est arrivée même jusqu’ici.
La journée commence avec peu de vent, juste assez pour me fatiguer. Alors que le vent s’affaiblit, la route devient malheureusement toujours plus mauvaise. Je mets plein gaz dès que je retrouve l’asphalte. Enfin, plus de vent ni de mauvaise piste…
Boum, ksssss, bang…
Je n’ai pas vu un gros nid de poule. Une des sacoches s’est détachée et a été trainée sur plusieurs mètres. Merde ! Merde ! Merde ! Pourquoi maintenant ? Pourquoi ? La sacoche est très endommagée, a 3 trous sur le côté et la fixation est fichue. Où vais-je bien pouvoir trouver des pièces de rechange pour réparer et fixer mon sac ? Je chasse des gens qui s’étaient arrêtés pour m’aider. « Allez ! Allez ! » Je suis hors de moi et désespéré.
Malgré tout, je finis par prendre ma trousse de réparation et je réussis à réparer la fixation à l’aide de quelques attache-câble. Je la ferme avec le câble du cadenas de mon vélo.

IMG 3284
Ça fonctionne à peu près. Et j’arrive plus ou moins à rouler les derniers 30 km jusqu’à la prochaine station-service. J’ai appris par les gendarmes qu’un cycliste américain est quelques kilomètres devant moi. Et je le rencontre finalement à la gendarmerie. Long story short. Il aime la musique rock, a voyagé à vélo dans le monde entier et nous nous entendons à merveille, particulièrement quand nous nous moquons un peu des gendarmes qui nous surprotègent. Cela devient encore plus drôle quand un gendarme fait irruption dans la hutte en demandant ce que nous y faisons. Nous rions. Il semble que son collègue ne l’a pas encore informé. Après quelques questions rapides, il finit par repartir. Tout est ordre, les touristes sont en sécurité.
Le problème de sacoche est rapidement résolu. Une simple question dans le chat des cyclistes sur WhatsApp et l’un deux me propose de m’en amener une de rechange à Nouakchott. J’adore l’internet et WhatsApp.

PC211682
Les jours qui suivent jusqu’à Dakhla passent super vite. Je m’entends bien avec Jorge, l’Américain. Il est un photographe passionné et nous avons de quoi parler. Et le vent dans le dos. Et un asphalte parfait. Et nous rencontrons des dromadaires sauvages. Et la vie est de nouveau belle.
Un jour, nous nous arrêtons dans un vieil hôtel. Sa particularité est que son propriétaire invite tous les cyclistes qui passent. Sur les murs de l’hôtel dont nous sommes les seuls hôtes, on peut lire leur noms et logos. Certains sont des célébrités : Cinecletta, Nikki, Cycle Tours, des noms connus dont certains personnellement sur mon WhatsApp.
Et dès maintenant, on peut aussi admirer le mien sur la porte du dortoir.
Une sorte d’annuaire de téléphone des cyclistes est gribouillé sur les murs. A l’entrée, un vieux sac de boxe pend au plafond et je ne peux m’empêcher d’exécuter quelques-unes de mes vieilles combinations de boxe thaïe. Une sympathique femme de couleur est en train de faire cuire un pain délicieux.
De l’autre côté de la route, derrière des roseaux, se cache une merveille, une source d’eau chaude, au beau milieu de l’ouest du Sahara. A l’abris d’un mur construit tout autour, nous nous lavons à l’eau bouillante jusqu’à ce que nos yeux coulent à cause des vapeurs de souffres. Le principal est de pouvoir se doucher.

IMG 3294
Après une dure journée, nous atteignons enfin Dakhla, la ville entre les mers et nous nous octroyons une pause, fêtons la nouvelle année et nous préparons à entrer en Maurétanie.